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vendredi 20 septembre 2013

Les lecteurs fers de lance de nouveaux modes de consommation

Le passage de l’édition imprimée à l’édition numérique explose la chaîne interprofessionnelle du livre telle qu’elle s’était forgée au fil des siècles, se rigidifiant au 19e en une suite linéaire, légitimant des intermédiaires entre les auteurs et les lecteurs, et favorisant des monopoles pour la diffusion-distribution. Ce que nous connaissons dans la grande distribution alimentaire.
La digitalisation de l’édition, que nous pouvons sommairement résumer par l’addition de deux phénomènes concomitant : la métamorphose des livres en tant que contenants (par exemple, « un livre de Victor Hugo »), et, la volatilité du livre en tant que contenu (par exemple, « Les misérables de Victor Hugo », le fichier hugo_miserables.epub), oblige à reconfigurer un commerce du livre élaboré pour l’échange marchand de volumes imprimés sur papier.
Nous observons ainsi le passage d'une chaîne du livre linéaire à un écosystème réticulaire, avec de nouveaux entrants et de nouveaux modèles de diffusion qui se testent sur les territoires numériques, ou, simplement dans les nouvelles pratiques de consommation des lecteurs.

  
Des pratiques en marge du marché du livre
 
Ancestral, le marché du livre serait conservateur et éternel. C’est là une idée reçue. Un vilain préjugé dont il faut tourner la page.
Parfois le marché du livre innove en adaptant ce qui se fait ailleurs. Je pense, par exemple, aux Paniers de livres, inspirés des paniers bios de fruits et légumes, lancés il y a quelques jours par l’association des Éditeurs Associés (voir la nouvelle dans Livres Hebdo). D’autres fois l’initiative est prise par des acteurs étrangers à la filière. Dans ses offres, Bundle&Co propose par exemple des romans et des BD.
Une chose est certaine cependant, c’est que les consommateurs, internautes de plus en plus souvent mobinautes, sont à la recherche d’offres à la fois originales et avantageuses, voire gratuites. Et le monde de l’imprimé est lui aussi touché.
Troc de presse, par exemple, vous permet ainsi d’échanger vos magazines au lieu de les stocker chez vous ou de les jeter. 
 
Des surprises à l’horizon…
 
Alors que les professionnels craignaient la gratuité avec le numérique, c’est par les biens matériels que le gratuit s’impose de plus en plus.
Les pratiques de consommation collaborative se développent à la vitesse grand V dans le secteur du livre.
En 2012 j’avais déjà signalé cette tendance (“La consommation solidaire pourrait-elle gagner (par) le marché du livre ?”) qui se développe en marge d’un marché du livre d’occasion au bord de l’implosion.
En effet, les cas où les lecteurs eux-mêmes initient des pratiques de contournement du marché du livre imprimé se multiplient, aidés en cela par le web et des stratégies inspirées des réseaux sociaux. Par exemple, avec le bookcrossing, et Circul’Livre, les sites web d’échanges gratuits, comme BigLib
Le livre numérique n’est pas en reste avec une importante offre gratuite sur le web d’ouvrages du domaine public. Par exemple, “ebooks libres et gratuits” (francophone)... 
 
Toutes ces offres sont parfaitement légales. Il n’est pas question ici de piratage, mais de consommation solidaire face à la crise économique et à des pratiques commerciales remises en cause par les consommateurs.
Les lecteurs considèrent de plus en plus les livres comme un bien commun. Ils ne revendiquent pas encore leurs droits (voir Les 13 droits des lecteurs), mais ils adoptent des stratégies de contournement qui les éloignent progressivement des librairies et des bibliothèques. Nous pouvons ainsi douter qu’ils iront demain dans des librairies pour télécharger des livres numériques à des bornes de téléchargement, ou bien qu’ils achèteront des cartes sur lesquelles flasher des codes de téléchargement. Pourquoi fréquenteraient-ils encore les bibliothèques ?
  
La prospective du livre est ainsi bel et bien l’une des plateformes de veille et de réflexion stratégique essentielle pour aborder les profondes mutations qui travaillent en profondeur nos sociétés (post)-capitalistes.
La surproduction et la dématérialisation des contenus culturels posent de façon globale la question de la reconnaissance des échanges non-marchands, lesquels se développent de fait dans les usages.
Il faut regarder la réalité en face.
Pour éviter un effondrement du marché du livre imprimé et éviter à l’édition (numérique ?) un avenir tel celui imaginé par Cécile Coulon dans sa dystopie Le rire du grand blessé, paru cet été aux éditions Viviane Hamy, il faut être à l’écoute des nouvelles formes narratives, des nouvelles littératures émergentes, des pionniers solitaires, de la plasticité des outils numériques pour inventer de nouvelles possibilités de médiation autour du livre et de la lecture. Le reste suivra !