
La digitalisation de
l’édition, que nous pouvons sommairement résumer par l’addition de deux
phénomènes concomitant : la métamorphose des livres en tant que contenants
(par exemple, « un livre de Victor Hugo »), et, la volatilité du
livre en tant que contenu (par exemple, « Les misérables de Victor Hugo », le fichier
hugo_miserables.epub), oblige à reconfigurer un commerce du livre élaboré pour
l’échange marchand de volumes imprimés sur papier.
Nous observons ainsi le passage
d'une chaîne du livre linéaire à un écosystème réticulaire, avec de nouveaux
entrants et de nouveaux modèles de diffusion qui se testent sur les territoires
numériques, ou, simplement dans les nouvelles pratiques de consommation des
lecteurs.
Des pratiques en marge du marché du livre
Ancestral, le marché du
livre serait conservateur et éternel. C’est là une idée reçue. Un vilain
préjugé dont il faut tourner la page.
Parfois le marché du livre
innove en adaptant ce qui se fait ailleurs. Je pense, par exemple, aux Paniers
de livres, inspirés des paniers bios de fruits et légumes, lancés il y a
quelques jours par l’association des Éditeurs Associés (voir la nouvelle dans Livres Hebdo).
D’autres fois l’initiative est prise par des acteurs étrangers à la filière.
Dans ses offres, Bundle&Co propose par exemple des romans et des BD.
Une chose est certaine
cependant, c’est que les consommateurs, internautes de plus en plus souvent
mobinautes, sont à la recherche d’offres à la fois originales et avantageuses,
voire gratuites. Et le monde de l’imprimé est lui aussi touché.
Troc de presse, par exemple,
vous permet ainsi d’échanger vos magazines au
lieu de les stocker chez vous ou de les jeter.
Des surprises à l’horizon…
Alors que les professionnels
craignaient la gratuité avec le numérique, c’est par les biens matériels que le
gratuit s’impose de plus en plus.
Les pratiques de
consommation collaborative se développent à la vitesse grand V dans
le secteur du livre.
En 2012 j’avais déjà signalé
cette tendance (“La consommation solidaire pourrait-elle gagner (par) le marché du livre ?”)
qui se développe en marge d’un marché du livre d’occasion au bord de
l’implosion.
En effet, les cas où les
lecteurs eux-mêmes initient des pratiques de contournement du marché du livre
imprimé se multiplient, aidés en cela par le web et des stratégies inspirées
des réseaux sociaux. Par exemple, avec le bookcrossing,
et Circul’Livre, les sites web d’échanges gratuits, comme BigLib…
Le livre numérique n’est pas
en reste avec une importante offre gratuite sur le web d’ouvrages du domaine
public. Par exemple, “ebooks libres et gratuits” (francophone)...
Toutes ces offres sont
parfaitement légales. Il n’est pas question ici de piratage, mais de
consommation solidaire face à la crise économique et à des pratiques
commerciales remises en cause par les consommateurs.
Les lecteurs considèrent de
plus en plus les livres comme un bien commun. Ils ne revendiquent pas encore leurs
droits (voir Les 13 droits des lecteurs), mais ils adoptent des stratégies de contournement qui les éloignent
progressivement des librairies et des bibliothèques. Nous pouvons ainsi douter
qu’ils iront demain dans des librairies pour télécharger des livres numériques
à des bornes de téléchargement, ou bien qu’ils achèteront des cartes sur
lesquelles flasher des codes de téléchargement. Pourquoi fréquenteraient-ils
encore les bibliothèques ?
La prospective du livre est
ainsi bel et bien l’une des plateformes de veille et de réflexion stratégique
essentielle pour aborder les profondes mutations qui travaillent en profondeur
nos sociétés (post)-capitalistes.
La surproduction et la dématérialisation
des contenus culturels posent de façon globale la question de la reconnaissance
des échanges non-marchands, lesquels se développent de fait dans les usages.
Il faut regarder la réalité
en face.
Pour éviter un effondrement
du marché du livre imprimé et éviter à l’édition (numérique ?) un avenir
tel celui imaginé par Cécile Coulon dans sa dystopie Le rire du grand blessé, paru cet été aux éditions Viviane Hamy, il faut être à l’écoute des nouvelles formes narratives, des nouvelles
littératures émergentes, des pionniers solitaires, de la plasticité des outils
numériques pour inventer de nouvelles possibilités de médiation autour du livre
et de la lecture. Le reste suivra !