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samedi 14 septembre 2013

L’évocation du futur comme méthode de prospective avancée : oxymore ou paradoxe ?

Le récent article de Rémi Sussan : Prospective : l’avenir passe par la fiction, sur le site d’Internet Actu, mérite de retenir tout notre intérêt. Outre qu’il attire notre attention sur les travaux de l’Institute for the Future de Palo Alto, à l’occasion de leur publication : An Aura of Familiarity, il pose une question essentielle à l’heure où nouveaux dispositifs et nouvelles pratiques de lecture pourraient brouiller nos repères : « Faire appel à des auteurs de science-fiction pour effectuer un travail de prospective est-ce vraiment sérieux ? ».
Rémi Sussan avait déjà abordé cette question avec “Quand les auteurs de SF passent à la pratique”, suggérant de possibles corrélations entre le pessimisme ou l’optimisme des récits de science-fiction et nos lectures des progrès scientifiques.
Car, en effet, il s’agit de lecture !  
 
Des lecteurs sur la voie du transhumanisme…
  
Bien au-delà de ceux qui font commerce des biens culturels et organisent la transition de l’édition imprimée à l’édition numérique, au-delà même des TIC (technologies de l’information et de la communication), ce qui est en train de se passer est que les NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’intelligence artificielle et des sciences cognitives) excèdent les capacités de lecture de notre espèce humaine.

L’horizon de nos lectures est repoussé.
N’oublions pas que lire, ce n’est pas forcément lire du texte sur du papier imprimé, ni même lire sur un écran. Fondamentalement, la lecture est l’activité première de décodage de son environnement par tout organisme vivant.
Mais aujourd’hui nous pouvons nous doter de dispositifs de décodage exogènes.
Des sortes d’orthèses à l’imaginaire (imaginaire que je considère comme une fonction locomotrice) pour des lecteurs en voie de transhumanisme.
Aujourd’hui, quand nous faisons une recherche sur le terme “lecteur”, nous avons une probabilité de plus en plus élevée d’obtenir comme résultats, non plus des êtres humains lisant, mais des machines à lire, c’est-à-dire à décoder des données numériques.
Je propose alors de concevoir dans ce contexte le “lecteur-être humain” comme un poste de radio qui serait en train de muter en téléviseur.
C’est un peu ce qui nous arrive je crois.
 
Chercher le texte…
 
La manifestation internationale de littérature numérique, Chercher le texte, qui se déroule à Paris du 23 au 28 septembre 2013 pourra ainsi conduire (je l’espère) ses visiteurs à l’écoute d’autres voix qui tissent les arts et la littérature numériques au destin du livre et de la lecture, dans ses dimensions prospectives, si l’on a suffisamment d’ouverture d’esprit pour considérer, par exemple, Jorge Luis Borges comme un prospectiviste.
A la question de Rémi Sussan je répondrais donc : oui.
Exercer son imaginaire à concevoir des futurs souhaitables (c’est-à-dire évoquer) pourrait enrichir les pratiques de veille stratégique et technologique et les exercices de scénarios d’avenir fondés sur la détection des signaux faibles, l’observation des tendances, la prévision de futurs plus ou moins probables et plus ou moins désirables.
Oui, les fictions peuvent apporter des réponses.
Nous pouvons utiliser le roman pour penser (pour Michel Onfray c’est ainsi qu’Albert Camus bâtit son œuvre).
Dans la sensibilité anglo-saxonne la bibliothérapie est reconnue comme peut l’être sur le continent européen la musicothérapie.
Dans son roman El último lector, le romancier mexicain David Toscana met en scène un personnage de bibliothécaire vraiment exemplaire, en ce sens que c'est dans les livres, dans la littérature, dans la fiction, qu'il cherche les clés de lecture du monde. Au 21e siècle ce personnage indique la voie à suivre aux professionnels du livre.
Il faut, dans la perspective d’un (nouvel) humanisme numérique, que la prospective se déploie dans le respect de l’animal-lecteur que nous sommes (référence à Alberto Manguel) et de ses nostalgies. En témoigne un autre récent texte intitulé : De la poussière sur les livres numériques posté sur son blog par Virginie Clayssen. Indépendamment de son activité aléatoire de blogueuse, l’auteure de ce beau texte est directrice de la stratégie numérique du groupe Editis (ex Vivendi Universal Publishing), deuxième groupe d'édition français. Comme quoi toutes les questions et les pistes de réponses brassées dans ce post ont bien leur raison d’être. Qu’en pensez-vous ?